13.12.2020
Il a dit de la merde.
Mes doigts sont suspendus au-dessus de mon clavier. Je redoute d’être maladroite, d’être stigmatisante. Je m’agace même de m’en inquiéter. Si j’ai peur de nommer, que cela raconte-t-il de mes pensées ? Je ne sais pas si je dois opter pour une pseudo-figure de style. Celle qui révèle notre incapacité ou notre angoisse à dire. « Il nous a quittés… », « black », « personne porteuse de handicap ». Je me dis que les mots existent et que ne pas les employer, c’est accepter de ne pas contribuer à que ce qu’ils disent cesse d’être violent. Me voici paralysée pour raconter mon histoire. Je constate ma peine. Elle me désarçonne car elle remet en cause mon identité-même. À quoi je sers si je ne sais pas bien raconter, poser des mots sur, dire avec justesse, structurer par le langage ? Je ne sais plus si ma peine cache une délicatesse, une lâcheté, une incompétence, une vacuité… Je crois qu’elle fait écho à ce que j’aurais aimé ne pas entendre ce jour-là. Je passe devant une boulangerie. Une femme en sort, un sac à la main. Un homme vient vers elle. Ils se connaissent visiblement. Il lui lâche alors, pointant son sac du menton : « Voilà qui va t’arranger ça ! » Parce qu’elle est grosse.
Photo : Kathryn Archibald
Voilà le mot que je ne parviens pas à lâcher, furieuse que mes atermoiements renvoient au visage de certains.es le fait de ne savoir quoi dire d’eux, d’elles. D’où cela sort-il que l’on puisse ainsi commenter le physique des autres ? Je me suis dit que la colère qui vrombissait en moi me concernait, que je projetais. Peut-être cette phrase n’était-elle absolument pas blessante pour cette femme ? Je me suis dit que mes pensées partaient du principe que le surpoids était nécessairement un problème alors que peut-être que non. Je suis partie, mon petit brouillon intérieur bouillonnant en moi, fâchée après cet homme, ce commentateur indélicat. Me disant que seul le hors-norme – la pluie, la cicatrice, la mauvaise nouvelle…- prêtait à discussion. Comme les galères et les échecs sont plus intéressants à raconter. Et puis pour être honnête, j’ai fini mon chemin avec dans la tête, des mots très simples : « Mais quel connard ce type. »
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